Projet de poésie et de théâtre "Rilke-Rodin, confluences"

, par Catherine Dubois

En bref

 Travail théâtral et poétique avec un intervenant (comédien-metteur en scène) dans un groupe de seconde (20 élèves impliqués directement)
 Point de départ : la rencontre entre un écrivain de langue allemande et un sculpteur français avant la Première Guerre, dont on commémore le centenaire
 Aboutissement : présentation d’un spectacle dans un lieu de création devenu musée
 Cadre : Projet d’Education Artistique et Culturelle et Partenariat avec un musée

Dans cet article, vous trouverez des extraits des points II (déroulement du travail) et III (le spectacle) du projet.
Les point I (l’historique du projet), IV (Autour du projet) et V (bilan) sont à lire dans le document intégral que vous pouvez télécharger en format pdf.

II. Déroulement du travail

1°) EN SALLE DE THEATRE ET AU MUSEE

20 décembre 2013 au Musée Rodin de Paris :
Visite guidée de l’exposition « Rodin. La lumière l’antique » par le groupe de germanistes et par leurs camarades non germanistes de la classe concernée, qu’il est important d’associer au projet. Florian est présent et rencontre les élèves pour la première fois. Véronique Garnier et l’une de ses collègues commentent la visite. Florian prend des notes, il imagine déjà certaines dynamiques, se laisse inspirer par les rapports de volumes, les ombres et les lumières. Le commentaire des guides n’est pas axé sur un apport massif d’informations mais vise plutôt à faire comprendre le processus de création, à souligner combien un artiste s’inspire d’un héritage et à mettre dans un état d’éveil. Avec Florian, nous accueillons ce qui vient, échangeons spontanément des impressions, des idées. Nous en sommes à un stade d’élaboration encore très intuitif. Nous avons quelques semaines pour laisser mûrir ...

Janvier 2014 : deux premières séances en salle de théâtre avec les élèves.
Florian leur présente avec une très grande rigueur certains « fondamentaux » du jeu sur scène mais aussi ses exigences en matière de comportement au sein du groupe. Il évoque aussi son apprentissage du métier, glisse des témoignages sur son expérience de comédien et de metteur en scène. Des bases strictes sont posées, qui nous permettront de travailler dans un climat de grande concentration, avec des repères qui peuvent paraître déroutants car ils ne correspondent pas toujours aux règles fixées pour la vie en cours. Mais les élèves apprendront vite à jongler avec ces systèmes - en partie - hétérogènes (par exemple, on tutoie le comédien, on l’appelle par son prénom et il n’est pas question de lever le doigt pour parler, mais si la prise de parole est considérée comme inopportune, il faut accepter de se taire. Ou bien encore, on peut faire des propositions quant au contenu, mais là aussi, à chacun de sentir jusqu’où il peut aller...).

L’atelier de 8h à 10h le vendredi avec Florian constitue d’emblée un rendez-vous privilégié dans l’emploi du temps hebdomadaire.

Chaque élève a choisi et appris deux proverbes allemands dans une liste distribuée en classe. Florian organise des « joutes oratoires » (« Wortgefechte ») à partir de mots allemands isolés puis de ces proverbes mémorisés.
Certains élèves adorent cette ambiance de « match », d’autres sont plus réticents mais jouent le jeu.

A cette étape de l’activité, nous n’abordons pas les textes de Rilke en salle de théâtre. Il s’agit pour chacun de travailler sur sa présence physique et vocale en scène, sur sa capacité à réagir, sur sa concentration et son écoute. L’attention est portée également sur l’articulation en français et en allemand, nous repérons aussi les syllabes toniques des mots en allemand et chacun s’entraîne à les marquer.

24 janvier : Visite du Musée Rodin de Meudon puis déambulation libre dans la salle où aura lieu la présentation le 21 mars, cet espace, vibrant et lumineux, qui a tellement séduit Rilke. Sur la proposition de Véronique Garnier, chaque participant note sur un « post-it », en français et de manière anonyme, deux mots qui lui semblent représenter ce qu’il a ressenti ou ce qui l’a frappé pendant ce moment. Les « post-it » seront relevés et exposés. Le « nuage de mots » ainsi constitué se transformera en « traces » imprimées sur une feuille affichée au mur de la salle d’allemand sous le titre Ein Vormittag im Rodin-Museum : Spuren. Viendront s’y ajouter , après le 21 mars, des photos des répétitions et du « spectacle ». Ainsi, le projet est toujours présent dans la salle de cours !!

Janvier à mars : séances au lycée, en salle de théâtre. Travail sur les textes de Rilke. Mise en voix et en espace. Constitution de groupes, distribution de textes, répartitions des rôles.

14 mars : début de mise en espace dans la salle du Musée Rodin de Meudon. Travail d’adaptation aux nouvelles conditions acoustiques (les voix résonnent). Florian dessine les grandes lignes du « spectacle ». Les interventions d’élèves (seuls, à deux ou à trois) auront lieu à différents endroits de la salle, avec des « surgissements » qui ménageront un effet de surprise. La scène finale réunira le groupe dans son intégralité. Les spectateurs , encadrés par des élèves qui leur indiqueront le chemin, déambuleront d’un endroit à un autre.

Chaque élève répète, seul, en binôme ou en trinôme, Florian passe d’un atelier à l’autre. Je n’interviens pas dans la structure de la mise en scène. Je prends des notes, écoute les textes, rectifie l’expression orale de l’allemand et fais quelques suggestions quant à la voix ou à la posture. J’essaie également de me mettre à la place du spectateur qui découvrira l’ensemble, mais j’éprouve parfois des difficultés à devenir un « regard extérieur »...

2°) EN CLASSE

Fin décembre : introduction de la séquence consacrée à l’art et plus précisément au théâtre. Réflexions à partir de citations sur l’art, extraites de Team Deutsch, Terminales. Chaque élève choisit une citation qui lui parle et justifie brièvement son choix.

Janvier : début du travail sur la séquence elle-même à partir de documents divers (cf manuel Perspektiven, seconde, chapitre 3, Berlin, Hauptstadt der Künste : intervention de la troupe Royal de Luxe et de ses marionnettes géantes à Berlin). Sensibilisation au vocabulaire du théâtre, début de constitution d’un lexique thématique qui sera étoffé au fur et à mesure (en partie grâce à des exercices : association de synonymes, de contraires, de verbes et de compléments, listes avec intrus etc.)

Entraînement de phonétique :
Lecture ou relecture de proverbes et de textes de Rilke.
Lecture chorale d’un passage des Cahiers de Malte Laurids Brigge, où les voyelles des syllabes accentuées ont été marquées en gras et où les unités de sens ont été séparées typographiquement pour faciliter la lecture et la répartition entre tous les élèves des passages à mémoriser.
Travail sur l’intonation dans la lecture de phrases.
Prononciation de mots isolés, avec attention portée sur les accents toniques, distinction à l’écoute et en expression de phonèmes souvent confondus (o / ö , u / ü , sch / ch), découpage des syllabes et conséquences sur la prononciation (gestern / Stern ...) etc.

Parfois, en fin d’heure, formation d’un « nuage de mots » à l’oral : sans ordre préétabli, chacun profère un mot en rapport avec la séance ou avec une séance antérieure. C’est l’occasion de se recentrer et de se remémorer / de mémoriser du vocabulaire, d’une manière ludique ou même un peu rêveuse...

Après la représentation, préparation d’interviews à deux ou trois, à l’aide d’une fiche
lexicale regroupant les bilans précédents et, par l’apport de termes et d’expressions complémentaires, suggérant des pistes quant au contenu.
Il s’agit à la fois d’expliquer le déroulement du travail et de communiquer ses impressions à un journaliste, lors d’une émission de radio fictive.

Enregistrement des interviews en salle multimedia à l’aide d’Audacity.
Ce travail sera l’objet d’une évaluation.
_La priorité est accordée à la richesse du discours , à la précision des explications fournies sur le projet ainsi qu’à la clarté et au dynamisme de la parole.
On ne vise pas la perfection grammaticale - même si les préparations ont été faites à l’origine par écrit- car chacun a dû s’entraîner à dire son texte en jetant seulement des coups d’œil à son papier. Il reste par ailleurs encore bien des progrès à accomplir quant à la prononciation et aux accents toniques !! Mais les élèves se prêtent au « jeu » avec bonheur et sincérité (exception faite peut-être de l’un d’eux, qui m’a semblé plutôt « s’acquitter d’une tâche », comme il l’ aurait fait pour tout autre « devoir noté ») et ils parviennent à s’exprimer de manière vivante et relativement nuancée.

Exemple de travail d’élève

Exemple de travail d’élève

III. Les présentations du travail

LE « SPECTACLE » DU 21 MARS

Même s’il avait été annoncé comme une simple « présentation de travail », cet événement a constitué un facteur de motivation très fort pour nous tous.
Madame Garnier avait fait en sorte que nous puissions rester dans l’enceinte du musée depuis le matin à 9h jusqu’à la fin de la présentation à 16h. Le groupe a donc pu se concentrer en baignant dans cette atmosphère magique, y compris pendant la pause méridienne (où nous avons eu la chance de pouvoir pique-niquer au soleil !).

La jauge de la salle étant limitée, l’assistance était constituée uniquement par les
personnalités impliquées dans le projet, par une vingtaine d’élèves germanistes et non
germanistes de seconde, auxquels se sont joints quelques familles disponibles.

Florian Goetz et moi-même avons dû renoncer à certaines ambitions, par manque de temps en atelier. D’autre part, le spectacle ne devait pas être trop long (durée fixée à 45 mn). Il a fallu opérer des choix, afin que les élèves se sentent maîtriser ce qu’ils présentaient. J’aurais souhaité pour ma part que chaque participant puisse dire un texte en allemand mais cela s’est avéré irréaliste. Des extraits des Cahiers de Malte Laurids Brigge, des poèmes de Rilke et des extraits de ses écrits sur Rodin ont été dits, en solo ou à plusieurs, en état d’immobilité ou en mouvement. Un entretien de Rodin avec Paul Gsell a été mis en scène par deux élèves. A la fin, le groupe entier est venu se placer, lentement, devant la Porte de l’Enfer et s’est peu à peu figé. Chacun avait eu l’occasion d’imaginer et d’expérimenter auparavant les postures qu’il pourrait tenir pendant quelques minutes dans une architecture collective. De cet ensemble sculptural ont fusé des mots, issus de notre fameux « nuage », en français et surtout en allemand. Cette « pluie » (ou ce « feu d’artifice » !?!) de mots était l’aboutissement d’un beau travail d’écoute et d’extrême attention puisque la prise de parole n’était pas fixée à l’avance.

Le spectacle s’est achevé sur un duo, émergeant du groupe, au cours duquel un extrait des Cahiers de Malte Laurids Brigge (Pour écrire un seul vers, Um eines Verses Willen) a été chanté et scandé. Cette conclusion a remporté un très vif succès auprès des camarades présents dans l’assistance.

RENCONTRES DES CLASSES DE SECONDE AU LYCEE

Le 10 juin, au Lycée Rabelais, chacune des classes de seconde impliquée dans un projet artistique a présenté un extrait de son travail aux autres classes, dans un temps très limité (environ un quart d’heure par groupe). Pour chaque projet, quelques élèves ont d’abord résumé le déroulement de l’atelier, en essayant d’en rendre l’esprit et en justifiant les choix effectués pour la présentation, puis le groupe s’est produit sur scène. Pour nous, les conditions n’étaient plus les mêmes puisqu’il ne s’agissait plus de déambuler parmi les sculptures de Rodin et que le metteur en scène n’était plus là pour préparer les acteurs. Nous avons donc choisi de présenter quelques « joutes oratoires » en allemand sous forme de duos, puis le groupe entier a reconstitué la scène « figée » évoquant la Porte de l’Enfer tout en proférant un « nuage de mots » en allemand. Enfin, cet ensemble a servi d’écrin, comme le 21 mars au Musée Rodin, au texte chanté et scandé.

Le public étant en majorité non germaniste, nous avons voulu, en laissant fuser des mots, donner à entendre combien la langue allemande peut être belle, mais aussi, grâce au chant en français, faire comprendre le contenu d’un extrait de la prose poétique de Rilke.

A l’issue de cette ultime séance, les élèves reçoivent un album-souvenir constitué des textes présentés, des documents de travail, de photos et, à la fin, des réactions qu’ils ont bien voulu exprimer en français à propos de ce parcours.

V. Bilan

Le projet a eu des apports très divers dont voici les grandes lignes. [1]

 La motivation - Beaucoup d’élèves ont apprécié le fait de travailler autrement, d’être impliqués physiquement dans un cours.
 L’art de vivre ensemble - Cette notion-clé de la classe de seconde a été vécue au quotidien dans une activité qui
dépassait largement les limites de la classe
 Le soin porté à la langue orale - Jamais je n’avais eu l’occasion de travailler l’expression orale avec cette intensité et surtout avec un tel enjeu esthétique.
 L’apport culturel - la fréquentation de divers lieux de proximité (musées etc)

Pour conclure

A l’origine, je souhaitais faire ce travail avec des élèves de Première, qui seraient plus mûrs et que je connaîtrais déjà, directement ou indirectement. Mais cela n’a pas été possible pour des raisons diverses et je m’inquiétais un peu d’aborder un tel projet avec des jeunes qui découvraient le lycée. J’ai été très vite rassurée.

S’il faut préciser que ces élèves avaient - pour la plupart - des acquis et une capacité de s’investir qu’on ne rencontre pas tous les ans, il est évident qu’une telle action permet à chacun de trouver d’autres manières d’avancer, sur le plan linguistique comme sur le plan personnel.

Et quelle occasion d’ insuffler à un groupe inspiration et enthousiasme ! Je suis ravie d’avoir eu cette opportunité et, au nom des participants, je remercie tous ceux qui ont proposé, conçu et permis de réaliser ce projet original, passionnant et...audacieux !

Dans cet article, vous trouverez des extraits des points II (déroulement du travail) et III (le spectacle) du projet.
Les point I (l’historique du projet), IV (Autour du projet) et V (bilan) sont à lire dans le document intégral que vous pouvez télécharger en format pdf.

Notes

[1Vous trouverez l’intégralité du texte dans le document pdf.

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