Dossier thématique : « Entraîner et évaluer la compréhension de l’écrit »

Lire pour créer

, par Delphine Kumar

En bref

  • Domaine de travail : Lire pour créer
  • Problématique  : le rôle de la motivation dans la compréhension de l’écrit
  • Classe / groupe d’expérimentation : 5è bilangue (24 élèves, groupe hétérogène)
  • Contexte de l’activité de lecture : lecture suivie dans un manuel scolaire, 2è année d’apprentissage de l’allemand (12 épisodes d’une même histoire) « Alex und Alex » Spontan 2, éditions Didier

Mise en œuvre de l’activité

- Mon constat/mon point de départ :

Dans mon manuel de 2è année d’apprentissage se trouve une histoire suivie dont on retrouve un épisode à chaque chapitre, accompagné d’un appareil d’aides et d’entraînements à la compréhension, et à l’expression également.
J’ai observé depuis trois années la même réaction des élèves (que ce soit en 5è ou en 3èLV2) : au terme de la lecture du premier épisode, les élèves se plongent dans l’histoire, s’attachent immédiatement aux personnages, expriment le désir de lire la suite, d’en savoir plus, puisque : "les personnages sont proches de nous en raison de leur âge", "l’histoire est assez bien même si je n’ai pas pu comprendre certains mots"... (citations d’élèves extraites des fiches de travail accompagnant la lecture des trois premiers épisodes). Mais l’attente du moment de lecture, c’est-à-dire la fin du chapitre suivant, cassait systématiquement cette envie de continuer à lire, cette motivation. Tout le bénéfice de la lecture se perdait dans le temps qui s’était écoulé. Ce laps de temps avait deux conséquences : le suspense s’était évanoui, et naturellement l’intérêt de la lecture avec, et, les élèves oubliaient un peu le contenu de l’histoire. La lecture du texte devenait un rituel dans le chapitre : un peu artificiel et ennuyeux. Nous étions obligés de passer par une phase de restitution du dernier épisode, souvent trop longue, ce qui déclenchait de manière récurrente la réaction suivante : "Mais on l’a déjà lu ça...", "On refait encore la même chose". Et une fois l’entraînement terminé, l’envie de lire la suite ne se manifestait plus vraiment. De plus, les entraves à la compréhension semblaient soudain beaucoup plus lourdes à partir du moment où les élèves ne montraient plus un réel intérêt pour l’histoire. Quelles que soient les aides proposées, certains bloquaient face au texte et n’avaient plus envie de faire l’effort de comprendre. Si l’enjeu n’est plus de connaître la suite de l’histoire, la lecture perd de son sens.
Outre l’oubli du contenu de l’histoire, une autre difficulté surgissait régulièrement, celle de l’apprentissage du lexique et de sa réactivation. Les élèves apprenaient certaines structures, certains mots au cours des entraînements de la compréhension de l’écrit qu’ils ne pouvaient pas insérer dans une thématique particulière. Ils n’étaient donc pas amenés à les réutiliser, sauf au moment de la restitution du dernier épisode. Et la plupart du temps, ce lexique avait été oublié car pas assez utilisé. Le rebrassage lexical n’était pas facilité par la fragmentation de la lecture.
Autre difficulté liée à l’organisation par chapitres de la lecture suivie proposée par le manuel : la découverte bâclée du dénouement de l’histoire. L’un des enjeux importants de la lecture d’un livre en est sa fin. Or ce point d’orgue est souvent escamoté, en raison de plusieurs contraintes de fin d’année scolaire, celle du temps notamment. En fin d’année scolaire, moment où le programme doit être bouclé, les priorités sont ciblées. La lecture suivie peut ne pas en faire partie. Les élèves lisent donc toute l’année scolaire une histoire dont ils ignoreront la fin ou qu’ils découvriront rapidement, faute de temps.

Mon axe de travail et ma réflexion se nourrissent donc de mon envie de remédier à ce problème de motivation, qui à mon sens conditionne la réception du texte, ainsi que l’efficacité des aides à la compréhension.
Lire pour créer m’a semblé être une piste intéressante pour entretenir l’intérêt des élèves pour la lecture suivie et les amener à surmonter les difficultés de compréhension rencontrées au cours de leur lecture.

-Mise en œuvre de l’expérimentation

Au regard de mon expérience concernant la lecture suivie et de la thématique de notre groupe de travail, j’ai décidé de renoncer à faire lire aux élèves un épisode de l’histoire suivie systématiquement à la fin de chaque chapitre. En effet, mon choix a été de leur proposer au cours des trois trimestres un moment où ils lisent plusieurs chapitres à la suite, et qu’au terme de l’année scolaire, la lecture de la fin de l’histoire soit un point d’orgue dans leur travail de lecture. Maintenir la motivation, l’envie de continuer à lire et de surmonter les difficultés liées à la lecture en associant la lecture à des projets, modestes ou plus ambitieux, m’ont semblé être des pistes intéressantes pour développer les compétences des élèves en compréhension de l’écrit. De ce fait, motivation et place du projet dans le processus de la lecture sont les deux axes qui ont guidé mon expérimentation.

Il m’a semblé important d’aborder le texte de lecture suivie d’une façon spécifique, et non pas comme un texte d’entraînement à la compréhension de l’écrit traditionnel. Etant absente plusieurs cours de suite, j’ai proposé la lecture des trois premiers épisodes en autonomie totale, comme travail à la maison, avec comme objectifs : de proposer d’emblée la lecture des trois épisodes comme celle du début d’un roman, et non pas d’un texte de manuel scolaire, et de ce fait, de ne pas leur imposer des aides et des exercices précis, et de les laisser libres dans leur choix. J’ai fait l’inventaire avec eux de toutes les aides qu’ils avaient à leur disposition : notes de vocabulaire, dessins, exercices de repérage dans le cahier d’activités, lexique en fin de manuel, et leur ai distribué une fiche d’aides à la lecture et une fiche-bilan. La première fiche récapitulait des conseils généraux comme : ne pas se décourager face au texte, utiliser les aides qui me parlent le plus, adopter la posture d’un détective qui chercherait à résoudre une enquête en recherchant des indices, être actif face au texte, ne pas chercher à tout comprendre, mais seulement le sens global du texte. La fiche-bilan me permettait de comprendre ce qui leur avait plu, déplu, quelles difficultés ils avaient rencontré, comment ils les avaient surmontées, ou pas..., et surtout s’ils avaient hâte de savoir ce qui allait se passer ensuite... L’annonce du projet, qui serait réalisé au terme des activités sur les trois premiers épisodes, à savoir la réalisation d’une affiche par groupe et d’une présentation de cette affiche sous forme de sketch, de mise en scène, a joué un rôle important dans la motivation. Ce premier contact avec l’histoire ressemblait donc à celui que les élèves peuvent avoir avec une œuvre dans leur langue maternelle, la seule différence étant les difficultés de compréhension sur lesquelles ils butaient dans la lecture d’un texte en langue allemande.

Une fois ce premier pas franchi, j’envisageais de remédier à ces difficultés de façon ludique pour leur donner envie de continuer à lire le texte, même s’ils avaient été confrontés à de lourdes entraves à la compréhension (cf fiche de travail épisodes 1,2,3). Le stage du PAF sur les pratiques théâtrales en cours d’allemand m’a fourni de nombreuses idées pour lancer de façon originale ce projet de lecture suivie. J’ai donc commencé le projet de lecture suivie avec un travail écrit sur le titre de l’œuvre : "Alex und Alex". Les élèves devaient créer des acrostiches à partir du prénom des héros, mais naturellement, les mots trouvés devaient se rattacher au contenu des trois premiers épisodes. L’acrostiche a été un moyen pour se replonger dans la lecture, phase nécessaire car certains n’avaient lu que superficiellement les épisodes à la maison, et compris que très peu de choses. Toutefois, leur fiche-bilan laisse apparaître que sur 24 élèves, 18 ont aimé lire de cette manière. Il s’agissait donc de prolonger leur plaisir de lire par la satisfaction de comprendre davantage l’histoire. Voici les différentes propositions d’acrostiches des groupes :

Allein, Abenteuer, Architekt, arbeiten, Amerika
Lisa, lieb, leben, lange Mail
Extra, erkältet, erster,s (Tag,Mal), einwerfen, eines Tages
X in AleX !

Ensuite, à partir de l’acrostiche, les groupes ont rédigé un texte très bref, une sorte d’instantané d’une partie d’un/des trois épisodes.

Exemple de production :

"Alex lebt in Frankfurt. Das ist ein Abenteuer ! Ihr Vater arbeitet in Wien, und ihr Bruder lebt allein in Amerika. Eines Tages schreibt sie eine lange Mail an ihre Kusine Lisa. Sie wohnt in München."

L’objectif était que chaque élève, quel que soit son niveau de compétences en
compréhension de l’écrit, dispose du même stock d’informations sur l’histoire. A ce travail écrit a succédé la mise en voix et en rythme d’une production écrite d’un groupe que j’avais corrigée et enrichie en lexique. Ce travail scénique a permis de rebrasser le lexique (lexique des trois premiers chapitres du manuel réactivé en partie dans les trois premiers épisodes du texte de lecture suivie), de surmonter certaines entraves à la compréhension et de garder la motivation intacte. La dernière étape avant de passer un peu plus tard à la découverte des trois épisodes suivants était la mise en œuvre d’un projet. Ce projet consistait en l’illustration d’un épisode du texte par groupe et de sa mise en scène. Chaque groupe devenait le spécialiste d’un épisode et présentait aux autres groupes son affiche et une mise en scène de l’épisode.

La classe s’est pleinement investie dans ce projet et les productions ont été originales et de qualité, même de la part des élèves les plus faibles et retors à la lecture d’un texte long. Ces derniers ont immédiatement demandé s’ils pourraient recommencer le même projet à la fin de la lecture des trois prochains épisodes. Afin de maintenir une espèce de suspense et d’intérêt pour la lecture suivie, je n’ai pas souhaité annoncer précisément la nature des activités proposées aux trois prochains chapitres. Je n’ai pas non plus parlé de mon projet final qui s’est clairement imposé à moi quand j’ai constaté le plaisir que les élèves ont manifesté lors de leur mise en scène des trois premiers épisodes, à savoir l’écriture d’un script, la mise en scène et l’interprétation de cette pièce conçue à partir de la lecture suivie de ce texte. Je n’ai pas laissé passer trop de temps entre chaque bloc de trois chapitres pour que la motivation des élèves ne s’éteigne pas. En revanche, j’ai du raccourcir le temps consacré aux chapitres suivants, pour diverses raisons qui n’ont pas de lien direct avec l’expérimentation. Les chapitres 4, 5, 6 étant moins narratifs mais plus dialogués, j’ai demandé aux élèves de lire les trois épisodes en classe et de se charger de la mise en scène de l’un d’eux. Chaque mise en scène était accompagnée d’une fiche de travail (compréhension de l’oral) visant à repérer l’épisode mis en scène ici, les personnages et les actions représentés. Naturellement, les différents groupes ne passaient pas dans l’ordre chronologique ! Une fois que les groupes étaient tous passés et qu’ils avaient été associés à leur épisode, la classe votait pour la meilleure mise en scène. Les groupes gagnants sont repassés une fois, mais cette fois-ci, dans l’ordre chronologique des épisodes. Ainsi, les élèves les plus en difficulté ont eu accès aux détails des textes qu’ils avaient moins compris.

Pour les épisodes 7, 8, 9,10, 11, j’ai proposé aux élèves des activités un peu plus traditionnelles, et ce pour plusieurs raisons : le niveau d’implicite, la richesse lexicale, la nature très narrative de ces épisodes qui constituaient de réelles entraves à la compréhension. Les élèves ont donc été très guidés et aidés grâce à des activités de repérage proposées dans le cahier d’activités, ou que j’élaborais, comme le choix d’un titre en allemand ou du résumé en français qui correspondait à l’épisode (parmi trois titres en allemand ou trois résumés en français proposés).

Avant la découverte du dernier épisode, les élèves ont imaginé une fin possible à l’histoire. Par groupes, ils ont proposé différentes fins, et ensuite, la classe a voté pour celle qui leur semblait la meilleure. La lecture de l’épisode 12 (qui propose 3 fins possibles à l’histoire) était motivée par l’envie de comparer leur fin à celles proposées par l’auteur, mais elle n’a pas donné lieu à une autre exploitation pédagogique. Il ne s’agissait que de découvrir un autre dénouement possible que le leur.

Le travail de lecture suivie s’est achevée par la rédaction d’un script, sa mise en scène et son interprétation. Les élèves ont fait ce projet final, mais j’ai senti une baisse dans leur motivation, qui rendait les dernières étapes du travail très laborieuses. Je ne ressentais plus le dynamisme et l’envie qui les habitaient au début et au cours du travail de lecture suivie. D’ailleurs, les élèves ont refusé de se mettre en scène face à un public, comme je l’avais envisagé en début d’expérimentation. Cette attitude de refus était très significative car lors des premières mises en scènes en début de projet, ils m’avaient demandé s’ils allaient jouer ces saynètes devant d’autres élèves ou devant l’assistante.

Naturellement, je leur ai demandé, lors de la dernière séance consacrée à la mise en scène de leur texte, pourquoi ils n’étaient plus vraiment motivés par ce projet. Leur réponse a été claire et assez unanime ; ils avaient terminé la lecture de l’histoire, et ils ne ressentaient plus le besoin de continuer à "en parler". Pour eux, le vote pour la meilleure fin et la découverte de la véritable fin proposée par l’auteur signifiaient l’achèvement du projet. Le poursuivre à travers la mise en scène finale etc... était artificiel et ne suscitait plus aucun intérêt de leur part, c’était du "déjà vu". C’est d’ailleurs ce qui ressort du questionnaire-bilan rempli en juin. La plupart des élèves (19/24) ont manifesté un plaisir réel d’avoir réalisé ce projet de lecture suivie tout au long de l’année et ont souhaité recommencer ce travail de lecture.

Bilan

L’objectif principal, qui était celui de maintenir la motivation tout au long de la lecture suivie afin de pouvoir faire progresser les élèves en compréhension de l’écrit, a été atteint, et ce, même si le projet final n’a pas reçu leur adhésion. L’essentiel était qu’ils maintiennent leur motivation et surmontent leurs difficultés de compréhension afin de ne pas décrocher dans le long processus de la lecture suivie. Or, j’ai pu constater que, lorsque sont mis en place des activités variées et ludiques, des petits projets qui jalonnent la lecture, les élèves continuent la lecture de l’histoire avec une réelle motivation. C’est également ce qu’ils ont noté dans leurs questionnaires-bilan (cf pièce jointe). Ils ont adhéré à ce projet de lecture suivie, et ce, dans la durée, et seraient prêts à recommencer.
Cette expérimentation a été faite l’année dernière lorsque ces élèves étaient en classe de 5è. Je les ai retrouvés cette année en 4è et leur ai à nouveau proposé en début de deuxième trimestre un travail de compréhension de l’écrit en autonomie. Ils devaient lire un extrait d’œuvre de littérature de jeunesse portant sur l’une des thématiques traitées dans les trois premiers chapitres du manuel : la mode, l’identité et les langues. Cette lecture s’est faite à la maison, avec comme aides, outre celles proposées par le manuel et le cahier d’activités, une fiche de travail du type de celles qu’ils ont en français lorsqu’ils doivent faire le compte-rendu d’une œuvre. A ce travail de synthèse et de présentation orale à la classe par quelques-uns, en langue allemande, s’est ajouté pour tous un bilan personnel en français sur la lecture. Sur 19 bilans rendus (anonymes), à la question "Penses-tu avoir progressé en compréhension de l’écrit en deux ans (travail sur "Alex und Alex" et celui de cette année) ? : 19 ont répondu qu’ils avaient "beaucoup ou un peu progressé". Aucun n’a répondu "non". Ce sentiment de réussite, cette satisfaction et ce plaisir ressentis à la lecture d’un texte authentique en langue étrangère me semblent être les conditions sine qua none à la progression d’un élève dans l’activité de compréhension de l’écrit.

Delphine Kumar -
Collège Alfred de Vigny
Courbevoie

Annexes

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